NOTRE-DAME DE PARIS, REINE DE DOULEUR, REINE DE VICTOIRE
Théâtre de poche Montparnasse
© Nathalie Audin - SYLVAIN TESSON, NOTRE-DAME DE PARIS, Ô REINE DE DOULEUR, Ô REINE DE VICTOIRE, ÉDITIONS ÉQUATEURS".
Cinq ans après l’incendie du 15 avril 2019, le Théâtre de Poche Montparnasse donne voix à la cathédrale parisienne ressuscitée. « Notre-Dame, Reine de douleur, Reine de victoire » offre une lecture des textes de Sylvain Tesson, où l’écrivain narre son lien intime, charnel et contemplatif avec l’édifice, noué dès l’enfance à travers l’escalade clandestine de ses hauteurs, puis renforcé après son accident lorsqu’il en fait un repère de convalescence et enfin sublimé après l’incendie comme un symbole intemporel de beauté, de grandeur et d’espoir.
Sur scène, en alternance, quatre comédiens talentueux – Samuel Labarthe, François Marthouret, Claude Aufaure et Christophe Barbier – font résonner cette ode vibrante, donnant à entendre la puissance poétique des mots et la force du monument, où le verbe se fait pierre.
Ici, le souvenir ému d’un instant d’éternité, avec l’interprétation de Claude Aufaure.
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Écho d’un instant d’éternité. Témoignage et hommage à un auteur et un acteur
Il est parfois des instants de grâce que le ciel accorde à la discorde des braves, telle une trêve.
Ce jeudi 30 janvier 2025, à l’aube d’un nouveau quart de siècle, alors que le premier mois de l’année s’apprête à tourner la page aux vœux d’espérance pour des jours meilleurs, une fée, chargée de l’avenir du monde, pose une dernière fois sa baguette sur le berceau du Théâtre de Poche Montparnasse. Dans un murmure zéphyrien, elle répand les notes de l’auteur comme un arôme sur la cité, ce qui, comme chacun sait au sujet des senteurs de ce monde, pointe le cerveau reptilien, l’animal sapiens, l’instinct de l’humanité.
« Sublime », chuchote-t-elle à l’oreille du comédien de sa voix subliminale. « Ce doit être sublime une dernière fois ». C’est en effet la dernière soirée où Claude Aufaure, acteur et metteur en scène que l’on ne présente plus, se frotte à la griffe de Sylvain Tesson sur les toits de Notre-Dame.
Lorsque l’homme est perdu, que son regard se trouble, c’est au monde subtil de lui souffler la voie par les moyens qu’il trouve. Ce soir, c’est par la voix, la présence et l’émotion de ce comédien d’exception, que le message poétique brûlera pour dire l’indicible, lire le transcendant, accomplir le miracle. Lorsque l’on escalade un sujet comme celui de Notre-Dame de Paris, avec en bouche la plume d’un saint (cryptonyme de Sylvain Tesson : ST.), on ne peut que se laisser inspirer par les courants ascensionnels épousant la chair d’une flèche dressée vers l’immensité.
Alors, les lumières de la salle du « Petit Poche », blotti au sous-sol tout contre les battements de la terre, à l’abri du bruit et de la vie qui grouille, s’éteignent. Sur les bancs feutrés de rouge, tissés du sang originel du théâtre où les gens se retrouvent en toute simplicité, une obscurité et un silence religieux envahissent les lieux. Le chant discret d’un chœur liturgique donne le ton à nos sens en suspens.
Là, s’éclaire, tel un gardien des lettres hantant ces lieux de pierres depuis la nuit des temps, l’acteur unique. Lentement, à quelques centimètres du public, il se déplace dans l’obscurité étoilée de bougies, comme un chat flairant l’endroit parfait, l’énergie juste, pour donner corps à la pensée poétique. L’artiste émérite enfile le verbe sacré de ses mains tremblantes pour en dé-livrer toute la quintessence, grave et légère, dans une voix vacillant de l’émanation secrète de la Beauté à l’ardeur fleurie de l’espoir. L’œuvre de l’écrivain se dissout alors en une valse de gouttes éthérées dans le ciel de la scène, se faufile dans la chevelure d’un auditoire assoiffé, pénètre son crâne, sinue au travers les gargouilles de son cerveau et se glisse dans les coulisses de ses veines, autoroute du cœur.
L’humble interprète déclame posément l’être de la feuille qui palpite entre ses mains. Que d’âme dans ses mots ! Que de mots dans son âme ! Le spectateur, sous perfusion, absorbe ce petit lait comme un nutriment essentiel à son être qui colore insensiblement son existence à grandes gorgées littéraires. Ce n’est plus une lecture dramatique, c’est une prière incarnée…!
Un éclair enfin saisit le père de ces mots, au fleuret vif et agile : Sylvain Tesson. « A la fin de l’envoi, il touche » de sa joie éveillée comme de son humour saisissant, l’auditeur étourdi. Sur son visage, l’empreinte de sa plume, les deux faces de la lune: l’une fougueuse, éloquente, passionnée ; l’autre immobile, captant le calme de la vérité ; récit d’un Yin et d’un Yang tracés sur un chemin de traverse reliant les paupières aux lèvres par un esprit émerveillé, afin de rendre visible l’invisible aux yeux de ceux qui ont besoin de voir pour croire.
Parfois, au détour d’un souvenir, à l’assaut d’une idée, dans une ivresse de vie, le pile étreint la face, envoûtant de sa force vitale chaque rhizome facial. Alors s’enflamme la symphonie d’un visage de pleine lune : deux yeux perçants identiques, deux lèvres dansant en écho.
Ainsi salue et conclut de son panache ultime, l’ambassadeur de ces songes, venu pour exalter le monde…

Nathalie AUDIN
7 février 2025
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